En matière d’information de gestion, parmi les indicateurs suivis par les entreprises privées de tous secteurs, l’un d’entre eux fait presque partout l’objet d’une attention particulière : il s’agit du niveau de la trésorerie.

Comment cette question se présente-t-elle chez les clients que nous rencontrons ?

Cela peut aller du client exceptionnel à la trésorerie très excédentaire qui ne voit pas l’intérêt de travailler sur le sujet à la grande entreprise dont les départements contrôle de gestion et trésorerie se renvoient la responsabilité de la mauvaise qualité des prévisions de trésorerie, en passant par le fond d’investissement qui souhaiterait aider ses participations à améliorer le passage du Budget d’exploitation en Budget de trésorerie.

En quoi sommes-nous à même d’apporter une réponse spécialement pertinente à nos clients sur ces sujets ?

La réponse courte à cette question tient en 2 mots : expérience et méthodologie.
Mais que recouvrent ces mots exactement ?

Pour ce qui est du mot expérience, le contenu est assez simple à définir : en ce qui me concerne, il s’agit d’une expérience bancaire à ses débuts (en 1973 !), puis de la gestion de la trésorerie d’une multinationale jusqu’en 1978, date ma rencontre avec Dung NGUYEN qui fut mon mentor (merci de prononcer Zung !) et date à laquelle je suis devenu consultant en gestion de trésorerie pour des sociétés de toutes tailles dans de nombreux secteurs et…pays ! Nous reviendrons plus loin sur ce sujet car beaucoup des sujets que tu évoques ramènent à Dung NGUYEN.

En ce qui concerne la méthodologie, c’est un peu plus compliqué et cela nécessiterait des développements élaborés. Pour des raisons de commodité de lecture, je propose d’en traiter les détails dans des articles spécifiques. Je me contenterai de principes dans ce qui suit.
Pour aborder de façon claire ces futurs développements, il me paraît tout d’abord nécessaire de rappeler quelques éléments du contexte dans lequel la gestion de trésorerie moderne en France est apparue car cela a complètement façonné les développements ultérieurs, les succès comme les difficultés. Cela va nous ramener au début des années 1970.

A cette époque :

– Les taux d’intérêts sur le Franc sont autour de 10% l’an, hors périodes de crises spéculatives contre le Franc. Si l’on rajoute les marges bancaires, l’addition est conséquente.
– La réglementation est drastique :

  • Contrôle des changes (interdiction de garder des devises plus d’un mois dans un compte en devise)
  • Encadrement du crédit (plafond de crédit à ne pas dépasser aux dates fatidiques fixées par la Banque de France)
  • Placements des excédents de trésorerie à un mois minimum pour espérer une rémunération

– Les moyens sont limités :

  • Pas de micro ordinateur, pas d’Internet, ni même de « Minitel », l’information provient des « pièces bancaires » ou des extraits de comptes papiers, exceptionnellement on s’informe par téléphone…
  • Pas de progiciel particulier pour la gestion de trésorerie (même Excel restait à inventer) : utilisation du progiciel comptable ou de documents papiers reprenant les informations reçues par les « pièces bancaires » auxquelles on ajoute à la main quelques estimations de l’évolution future. Gomme et crayon obligatoire.

– La gestion de trésorerie fait partie de la « comptabilité »
Compte tenu des éléments précédents (taux d’intérêts, brouillard sur la position de trésorerie du jour, trou noir sur le futur), les comptables visent la sécurité ce qui amène à privilégier les anticipations négatives, c’est-à-dire à favoriser « par précaution » l’intégration des dépenses futures dans les soldes bancaires, ce qui aboutit à constituer des soldes créditeurs par peur d’agios débiteurs conséquents et de « manquer ».

– Les conditions de banques sont d’une « obscure clarté » et relèvent quasiment du «secret défense»

C’est dans ce contexte que paraissent en 1972 dans la revue « Le Management » trois articles d‘un certain Dung NGUYEN sous le titre « Trésorerie zéro, pourquoi, comment ? ».
Tout est déjà dans le titre…Dans ces articles, Dung NGUYEN expose et démontre tout d’abord que le bon trésorier est celui qui gère en « trésorerie zéro » c’est-à-dire celui qui optimise le gain des placements moins le cout des emprunts afin qu’il n’y ait le moins d’argent dormant sur les comptes, pas celui qui évite les agios. Autrement dit, il faut prendre en compte le manque à gagner dans les décisions.
Évidence aujourd’hui, bombe à l’époque.

Les Directions Générales, les Directeurs Financiers, les Trésoriers (quand il y en a) commencent alors à évaluer ce manque à gagner par l’analyse d’un document jusqu’à là assez négligé et qui s’appelle échelle d’intérêts. Ils y trouvent alors une source de gains très important qui va lancer le mouvement.

Mais dans le titre des articles, s’il y a le « Pourquoi ? », il y a aussi le « Comment » ?

En effet, une fois admis le principe de trésorerie zéro, il faut le mettre en place.

Dans les conditions de l’époque exposées ci-dessus, on peut résumer ainsi la problématique : je dois être capable de pré-calculer et optimiser le résultat de l’équation suivante : Gains du produit si je place-Coût du découvert entrainé par le placement. Pour concrétiser, dans les conditions de l’époque, pour avoir un gain, il faut placer à 30 jours minimum à un certain taux, ce qui peut entrainer un découvert pendant un certain nombre de jours à un autre taux. Comment décider ?
Il faut évidemment maîtriser les conditions de banques (taux, marges, dates de valeur) mais aussi les prévisions pour effectuer un calcul sérieux.

De ces deux éléments essentiels (principe de trésorerie zéro, maîtrise des paramètres du modèle) et des enjeux conséquents et mesurables qui apparaissent va découler l’ensemble des développements des années qui ont suivi :

  • Prise de conscience dans les entreprises de l’importance de la gestion de trésorerie comme centre de profit
  • Mise en place d’une fonction Gestion de Trésorerie indépendante de la comptabilité
  • Développement de progiciels spécialisés
  • Mise en place des techniques d’information provenant des banques
  • Publication, clarification des conditions de banque et négociations

Il faut noter tout de suite que si ces points ont été indispensables au développement de la fonction Gestion de Trésorerie, ils portent également en germe des difficultés du fait de la séparation d’avec la fonction comptable, difficultés que l’on retrouve souvent au cœur des problèmes de certains clients.

Parallèlement, notamment dans le cadre du cabinet conseil Dung NGUYEN et Associés dont j’ai eu l’honneur de faire partie dès 1978 en tant qu’associé jusqu’à la disparition prématurée de Dung NGUYEN en 1988, se développe la méthodologie nécessaire pour mettre en place le principe de trésorerie zéro en terme d’organisation et de procédures. Évidemment fondamental.

Les règles et méthodes ont été définies par l’expérience, elles ont été mises en place dans de nombreuses entreprises tout au long des années 80, adaptées ou adaptables aux secteurs et cas particuliers. Ces règles et méthodes ont, par exemple, façonné l’ergonomie des progiciels de gestion de trésorerie, centrés sur la « fiche en valeur » dont l’ergonomie a été définie à cette époque et est toujours d’actualité (le plus bel exemple étant celui de la fiche en valeur de l’ex CERG-XRT Universe).

Depuis les années 1970, les conditions ont beaucoup changé : les taux d’intérêts se sont effondrés (du moins actuellement), la réglementation a changé, les produits de placements à court terme ont pu être développés, les progiciels et internet sont là, les conditions de banques ne sont plus un tabou, etc.

C’est évidemment tant mieux, mais il n’en reste pas moins que de nombreuses difficultés subsistent, notamment autour des prévisions.

Paradoxalement, on peut presque dire qu’une partie de ces difficultés provient du progrès…car comme chacun sait, la fonction crée l’organe et comme les pressions sur la gestion de trésorerie se sont relâchées, certains attributs se sont atrophiés. En gros, on peut dire qu’à de rares exceptions près, ne reste du modèle standard de trésorerie zéro que les aspects techniques « outils » (informatique, progiciels, télématique), les règles et procédures nécessaires en amont pour faire fonctionner le tout de façon cohérente ont disparues. En résumé, il est trop facile de placer en SICAV au jour le jour, cela dispense de faire des prévisions…

Et quand on connaît l’historique, il est amusant de constater qu’il reste une vague trace de ces procédures en amont mais vidées de leur substance dans le vocabulaire utilisé dans les progiciels de gestion de trésorerie.
Par exemple dans un progiciel que je ne nommerai pas existent des Prévisions Confirmées, des Prévisions d’Origine, des banques pivot ou encore des quotas…
Ces mots correspondent à des concepts méthodologiques bien précis de la trésorerie zéro mais les fonctionnalités mises en place n’ont qu’un lointain rapport avec le modèle original.

 

Pour terminer ce développement déjà assez long, indispensable pour comprendre ce qui suivra, mais qui ne fait qu’effleurer les sujets, on peut résumer ainsi notre apport sur le plan méthodologique :

  • Remise de chaque chose à sa place : les outils ne sont que des outils, ils ne peuvent rendre le meilleur dont ils sont capables que si l’environnement est préparé
  • Clarification des enjeux, des objectifs, des concepts et du vocabulaire de façon à avoir une vue bien définie de ce dont on parle (par exemple même les mots prévisions et réalisations sont à définir !)
  • Connaissance des principes, des règles, méthodes et procédures à mettre en place pour maitriser sa trésorerie et capacité à adapter les règles générales bien connues aux cas particuliers.

Pour terminer, je voudrais souligner un point de première importance : comme expliqué par Dung NGUYEN et vérifié par des années d’expérience, la maîtrise de la trésorerie suppose la reconnaissance de la fonction trésorerie en tant que telle. C’est admettre qu’elle a besoin de fixer des règles et procédures dans une organisation qui lui permet de jouer son rôle.
Naturellement, ces règles et procédures peuvent rentrer en conflit avec d’autres nécessités et cela peut donc être plus ou moins facile à faire passer.
Il y a donc des choix à faire mais il n’y a pas de miracle : si la fonction trésorerie n’est considérée que comme un simple service de caisse, il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle puisse prévoir l’imprévisible, fût-elle dotée du plus couteux progiciel de la galaxie.

Marc Jacob de Cordemoy